Planter des arbres pour compenser ses émissions de CO2. L’idée séduit de plus en plus d’entreprises, encouragées en France par le label Bas Carbone.
Les entreprises, meilleures amies des arbres? Alors que la pression s’accroît sur le secteur privé pour décarboner l’activité, les firmes sont de plus en plus nombreuses à se tourner vers la plantation d’arbres pour séquestrer du carbone et compenser ainsi une partie de leurs émissions de gaz à effet de serre. Axa vient ainsi d’annoncer un investissement d’1,5 milliard d’euros en faveur de la forêt, dont 500 millions pour des projets de reforestation. En France, Orange vient également de signer un partenariat avec l’Alliance forêts bois, la plus grande coopérative de forestiers française, pour planter des arbres dans une trentaine de sites un peu partout en France métropolitaine. Des projets rendus possible par le label Bas carbone, créé par le ministère de la Transition écologique en 2019.
Exemple société Orange
L’entreprise a déjà commencé à financer des énergies renouvelables, pour éviter des émissions. L’autre solution consiste à capter le carbone émis en plantant des arbres. Après quelques premiers projets dans les pays en pointe sur le sujet, notamment au Sénégal, Orange se lance cette fois en France avec la plantation de 260.000 arbres en métropole, de quoi absorber 32.000 tonnes de CO2, avec un partenaire de confiance, pionnier des puits de carbone en France.
Pas question de servir le greenwashing des boîtes
Car toutes les formes de compensation ne se valent pas. Les ONG ont longtemps été vent debout contre des projets forestiers contre-productifs, nocifs pour la biodiversité et perçus comme une autorisation à continuer d’émettre sans compter. Tout ce que veut éviter Orange, qui assure « ne pas acheter de droits à polluer », ou des développeurs de projets spécialisés comme PUR Projet. Cette entreprise sociale développe des projets d’agroforesterie -la plantation d’arbres en écosystème avec des terres agricoles, en partenariat avec de petits producteurs-, majoritairement dans des pays en développement, pour le compte d’entreprises souhaitant compenser une partie de leurs émissions carbone, à l’image de Nespresso.
« Nous voulons réconcilier les entreprises avec la nature, indique Tristan Lecomte, fondateur de PUR Project. Les arbres sont au cœur des stratégies net zéro carbone ». Et pas question de servir le greenwashing des boîtes. La compensation ne doit pas empêcher l’entreprise de réduire ses émissions, mais l’un ne va pas sans l’autre, estime Tristan Lecomte: « Il faut les deux. Je ne connais aucune entreprise qui veut émettre pour rien et qui s’engage dans la compensation sans réduction. Si vous compensez sans réduire, c’est la double peine, vous devez payer beaucoup plus cher pour compenser 100% vos émissions. Celles qui disent vouloir d’abord réduire avant de voir s’il sera nécessaire de compenser, souvent ne veulent surtout dépenser d’argent dans la compensation », analyse l’entrepreneur.
Car la compensation du carbone n’est pas instantanée. Les scientifiques considèrent que le CO2 doit être séquestré 30 ans pour être considéré comme compensé. Les contrats noués avec les clients obligent donc PUR Project à délivrer des crédits carbone et à porter les projets sur 30 ans. Seul ce qui a été planté il y a 5 ans peut être vendu. Un auditeur d’un organisme tiers comme Ecocert ou Rainforest Alliance vient ensuite vérifier tous les 5 ans les plantations et mesurer le carbone séquestré. Les entreprises clientes peuvent ensuite inscrire leurs émissions en face des crédits carbone dans les registres de l’ONG Verra ou Gold standards, les références internationales, et annuler la ligne, permettant d’afficher une compensation.
Séquestration du carbone ne veut pas dire neutralité
Ce qui ne veut pas dire que le carbone émis n’a pas eu d’impact, prévient PUR Project. La compensation n’est pas synonyme de neutralité. Les émissions ont toujours un impact. Et personne n’est neutre tant que tout le monde n’est pas neutre. Attention donc aux communications parfois trompeuses et contre-productives des entreprises (si elle est neutre, je peux consommer sans vergogne). Ce qui ne doit pas empêcher de s’engager dès à présent pour financer la création de nouvelles capacités de captation du carbone sur la planète, si elles sont prêtes à mettre le prix pour le faire correctement. « La recherche de la neutralité arithmétique à tout prix a poussé l’achat de crédits ou de projets qui ne servent à rien », rappelle Tristan Lecomte. Car pour être environnementalement pertinente, la compensation doit avoir une valeur écosystémique. Les arbres plantés doivent absorber du carbone, mais aussi réduire la température, fertiliser les sols, favoriser un regain de biodiversité… Pour être pertinents, les projets doivent donc être additionnels, avoir des co-bénéfices, et ne délivrer des crédits carbone que s’ils n’auraient pas pu se monter sans la finance carbone. D’où le prix relativement élevé de la tonne de CO2 compensée vendue entre 15 et 20 dollars par PUR Project, qui alerte sur une forme de dumping du crédit carbone de la part de porteurs de projets peu scrupuleux, prêts à planter des arbres peu chers, pour vendre des crédits carbone à bas prix mais sans vertu environnementale.
LIRE AUSSILes usines auto neutres en carbone, ça n’existe pas
Pour encourager et reconnaître la qualité des projets volontaires en France, le ministère de la Transition Écologique a décidé en 2019 de créer son propre label Bas carbone, en dehors des standards internationaux, pour certifier les projets « made in France » de stockage du carbone par des projets forestiers: reconstruction de forêts dégradées (tempête, sécheresse, incendie…), boisement de terres en friche ou conversion de taillis. Ce label permet garantir la pertinence des projets et de calculer le CO2 séquestré sur 30 ans grâce à la production de biomasse des arbres, mais aussi les émissions évitées par la substitution par du bois de produits fortement émetteurs comme l’aluminium ou d’autres matériaux de construction. Car les forêts ainsi plantées sont ensuite gérées en sylviculture durable; à moins d’être brûlé, un arbre coupé, pour de la construction notamment, reste un stock de carbone.
Forêt de pins maritimes âgés de 14 ans, après une première coupe d’éclaircie, dans le domaine du Lapin en région bordelaise, membre de la coopérative AFB. Le bois valorisé lors de cette coupe permettra d’alimenter la papeterie locale SMURFIT, à 20km de la propriété. Crédit: Agathe Beaujon/Challenges
« Le label bas carbone est le seul standard forestier en France qui reconnaît la réduction des émissions de gaz à effet de serre par des projets forestiers, résume Stéphane Viéban, directeur général de l’Alliance Forêts Bois. Il s’agit également d’une nouvelle forme de financement de la forêt, qui n’était jusque-là financée que par l’exploitation du bois. »
Planter des arbres protège aussi des emplois, non délocalisables
Dans le cadre de son partenariat avec Orange, l’AFD a donc fait labelliser en amont tous les projets qui couvriront 175 hectares, soit l’équivalent d’environ 250 terrains de foot. Les arbres plantés seront audités dans 5 ans par un organisme tiers, qui permettra de valider que la réalisation sur le terrain permettra bien d’absorber 32.000 tonnes de carbone. Et le calcul est complexe. Une multitude de critères sont à prendre en compte pour s’assurer de la pérennité des plantations, et garantir une durée de vie de trente ans minimum des arbres, malgré l’annonce forcément anticipée de la compensation carbone dès 2021. Contre les risques de maladie, d’incendies, de tempêtes… le label Bas carbone impose d’intégrer des rabais dans les calculs, de l’ordre de 30 à 40%. « Nous plantons plus, et avec les rabais calculés, à la fin nous arriverons à 32.000 tonnes de carbone séquestrées », explique l’AFB. Le tout consigné dans un registre, pour s’assurer que le carbone compensé par un arbre ne pourra pas être comptabilisé ou vendu plusieurs fois. Et ces réductions d’émissions ne sont ni transférables, ni échangeables. A l’heure actuelle, 145 projets sont enregistrés dans ce registre.
Les premiers plans financés par Orange ont été mis en terre cet automne, avant deux autres phases de plantation au printemps et à l’automne 2022. Bonus non négligeable, la première phase du contrat devrait permettre de créer ou sauvegarder 200 emplois. Si Orange ne révèle pas le montant du contrat, l’AFD indique que le reboisement d’un hectare coûte entre 3.000 et 4.500 euros pour des épineux, entre 5 et 6.000 euros pour des feuillus, ce qui porterait le coût de l’opération d’Orange entre 500.000 et 1 million d’euros. Un montant très loin des 10 milliards investis dans la fibre à titre d’exemple, concède Fabienne Dulac. « Ces 32.000 tonnes de CO2 séquestrées ne représenteront que quelques pourcents à peine des 20% résiduels. Mais nous restons attentifs à de nouvelles opportunités ou à d’autres projets ailleurs », souligne toutefois la directrice générale. Rendez-vous donc dans trente ans pour faire le bilan.